“Ce qu’il y a de beau dans l’ivresse, c’est le lendemain, la gueule de bois : ces remords, cette morosité. La force de la gueule de bois, c’est qu’on voudrait commencer une autre vie.” Prononcés deux ans avant sa mort dans un documentaire de France 3, ces mots de l’écrivain Bohumil Hrabal (1914-1997) ont tout le poids de la mélancolie. Celle d’innombrables gorgées de bière et de quelques-uns des romans les plus renommés de la littérature tchèque. Parmi ceux-ci, Une trop bruyante solitude est l’un des plus connus de Hrabal. L’ex-chef de gare et machiniste de théâtre y déploie les états d’âme d’un personnage unique, Hanta, alcoolique et ouvrier du pilon. Afin de soulager sa culpabilité de fossoyeur involontaire de la culture, ce dernier sauve de la destruction le plus de livres possible, pour les ramener chez lui. Là, ils s’entassent en piles absurdes où se mêlent Nietzsche et la littérature de gare. Inspiré par le tragique de ce roman ivre, le trio lyonnais formé par Lionel Tran (écrivain), Valérie Berge (photographe) et Ambre (dessinateur) a conçu une BD (superbe, underground), ainsi qu’une installation restituant la chambre de Hanta. Présentée cette semaine dans plusieurs librairies et à l’Ovale 203, cette double démarche met en avant la disparition matérielle du livre, dans une perspective proche de la bibliothèque labyrinthique de Borges (version décadente). Le tout, emballé dans la saison tchèque en France, “Bohemia Magica”, rejoindra ensuite le Festival d’Angoulême (fin janvier) et le Salon du livre de Bordeaux (en avril prochain)

Pierre Tillet - Lyon Capitale n°405, 11 décembre 2002

Adapté d’un chef-d’œuvre de la littérature tchèque, Une trop bruyante solitude suit le destin d’un homme dont le métier consiste à détruire des livres au pilon. L’ouvrier, alcoolique et illettré, en épargne aussi des centaines, qu’il entasse chez lui avec passion. Mais une usine de recyclage ultramoderne ouvre ses portes… et l’homme perd son travail. L’ampleur du drame est restituée par le graphisme des photos, signées Valérie Berge, retravaillées par Ambre et Tran. On retrouve toute l’oppression du roman dans les traits hachés, tourmentés, et un douloureux noir et blanc. Le scénario joue en outre sur un décalage entre texte et images, qui légitime la filiation littéraire de cet album bouleversant.

O.M. – 20 minutes, 21 janvier 2003

Le vieil Hanta est un tueur de livres. C’est son métier. Chaque jour depuis 35 ans, il réduit en pulpe des tonnes de vieux bouquins avec un pilon. Mais de temps en temps, il en sauve un ou deux qui en valent la peine et les entasse chez lui. Au fil des années, une étrange relation s’installe entre l’ouvrier seul et ses livres. Lionel Tran, Ambre et Valérie Berge se sont attaqués à l’adaptation d’un roman du Tchèque Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude. Leur collaboration donne un album d’une force incroyable, servi par de somptueux dessins en noir et blanc et par le poignant monologue d’un héros qui cherche dans les livres un refuge à sa solitude. Une sensation de malaise et d’angoisse transpire de chaque page, par moments renforcée par de subtils décalages entre le contenu du texte et des images.

C.V. - Le Figaro, 21 janvier 2003

[…] Il ne s’agit plus ici vraiment d’une adaptation, mais d’une transposition dans un autre médium qui n’est pas forcément celui de la bande dessinée traditionnelle. Tran, scénariste, Ambre, dessinateur, et Berge, photographe, mettent sur pied une œuvre d’art, une sorte de dispositif […] qui nous parle d’un rapport au monde. Tandis que le court récit de Hrabal raconte l’histoire d’un ouvrier qui, pendant trente-cinq ans, pilonne des livres au fond d’une cave avant de s’apercevoir que le monde moderne va le liquider à l’instar de cette culture qu’il a tenté de préserver (en entassant chez lui des livres récupérés), la version graphique rend cette mélancolie sociale et culturelle en instaurant un rapport d’emblée faussé à la représentation, comme si tout était perdu d’avance, car les dessins d’Ambre sont des copies des photos de Valérie Berge, qui en deviennent du coup la répétition générale. On pense alors au Pierre Ménard de Borges réécrivant le Quichotte ou à Gus Van Sant refilmant Psychose plan par plan.

Eric Loret – Libération, 23 janvier 2003

Adapté du roman de l'écrivain tchèque Bohumil Hrabal, cet album évoque la vie de Hanta, "presseur de vieux livres " depuis 35 ans. Il en sauve, les entasse chez lui - jusqu'à deux tonnes, au-dessus de son lit ! Un jour, son univers s'écroule. Scénarisée par Lionel Tran et mise en décor par Valérie Berge, dessinée à la plume par Ambre, cette BD expérimentale parle d'usure, de disparition, de la perte du livre comme de celle de l'amour et de l'humanité. Un dessin et un trait magnifiques, qui sinuent dans les profondeurs de caves ou de ruines et qui tracent l'itinéraire émouvant d'une "solitude peuplée de pensées "

Le Monde, 23 janvier 2003

Entre photographies noir et blanc surexposées et gravures à l'ancienne, les cases égrènent les mots du roman original, dans un long et émouvant monologue sans aucun phylactère. Surpris dans les premières pages, on s'attache progressivement à ce vieil homme, on l'écoute raconter sa vie, sa solitude, son désespoir, jusqu'au drame final. Un livre riche, parfois déroutant par la nature expérimentale de la narration, mais qu'on lit d'une traite, de plus en plus ému par le destin absurde de cet être humain isolé des autres et qui trouve dans le sauvetage des livres et dans leur découverte, une raison pour survivre et sa seule raison d'exister.

Patrick Albray - www.actuabd.com , janvier 2003

S'il y avait un prix de la meilleure adaptation d'un roman en bande dessinée, peu de candidats pourraient rivaliser avec « Une trop bruyante solitude ». L'équipe qui a travaillé plusieurs années sur ce projet s'est attaquée à un livre d'une densité et d'une beauté magistrales. Un roman sur la modernité et ses travers, sur l'homme et sa place dans le monde, sur le sens de la culture, sur l'obsolescence sociale, sur la littérature elle-même. Le souffle qui traverse ce livre vous emporte immédiatement et la première qualité de cette adaptation est d'avoir su le conserver. Le texte est très présent. Magnifique, il se suffit parfois à lui-même, ce qui explique que certaines pages sont délibérément blanches, juste recouvertes de quelques phrases. Non seulement, cela permet au lecteur de s'arrêter sur le texte, mais cela confère un rythme au livre, une musicalité qu'il est rare de rencontrer en bande dessinée. Les auteurs ont ensuite choisi une voie particulièrement originale pour ce qui est de l'adaptation elle-même, refusant de montrer en dessin ce que le texte suggère. A partir des photos réalisées à Lyon par Valérie Berge, « Une trop bruyante solitude » s'est construit dans une zone de totale liberté graphique et de création pure. Exit, Prague et l'univers réel de Hrabal. De la même manière que Lionel Tran s'est réapproprié le texte du livre, allant jusqu'à mettre l'auteur en abîme dans son adaptation, Ambre, le dessinateur, produit sa propre vision de l'émotion qui étreint le lecteur à la lecture des aventures de Hanta, l'ouvrier alcoolique voué depuis son plus jeune page à la destruction des livres, tombé amoureux de la littérature qu'il arrache au pilon. Le résultat est troublant, la lecture pleine de surprises. Il faut fouiller cet album du regard, pousser les portes entrouvertes, gratter derrière les visages hachurés, relire, revoir.

Thierry Bellefroid - Bdparadisio, février 2003

En adaptant le roman de l'écrivain Tchèque Bohumil Hrabal, Ambre (dessinateur), Valérie Berge (photographe) et Lionel Tran (écrivain) soulignent la fin d'une culture reposant sur le livre comme outil de connaissance et la liquidation du monde ouvrier. Un album dérangeant, d'une lumineuse intensité.

Pascal Vigneron - La république du Centre Ouest, 26 février 2003

Cette forte adaptation du roman de Bohumil Hrabal réussit à resserrer le récit autour de la disparition du monde ouvrier et de la mort des livres quand ils passent au pilon, autodafé à la fois légal et tabou. La photographe Valérie Berge, le dessinateur Ambre et le romancier Lionel Tran se sont approprié le douloureux récit avec brio et respect. Leur long travail préparatoire leur a aussi inspiré une impressionnante exposition-installation, dans laquelle ils ont reconstruit la chanbre envahie de livres.[…]

L.G. - Le Nouvel Observateur, 13-19 mars 2003.

C’est l’audace qui a guidé les auteurs dans cette adaptation d’un roman en bande dessinée. Et quel roman ! Hrabal y raconte comment un ouvrier alcoolique et illettré est devenu, au fil des ans, l’amoureux des livres qu’il avait la charge de détruire sous le pilon mécanique. L’ouvrier en question apprend qu’il sera bientôt remplacé par une machine. Son monde bascule… Si le pilon mécanique ne parle plus à grand monde aujourd’hui, l’obsolescence sociale, elle, est un sujet totalement contemporain. Séduits par l’actualité du propos et la beauté de la langue, Tran, Ambre et Berge ont décidé de recadrer le récit, en commençant par transposer les décors tchèques dans la région lyonnaise. La photographe Valérie Berge y a traqué les endroits qui pouvaient traduire le sentiment du lecteur face à Une trop bruyante solitude. Ambre a transcendé ces photos par son dessin sombre, hachuré, volontairement mystérieux. Le scénariste, Lionel Tran, a su à la fois être fidèle au texte et se le réapproprier, allant jusqu’à introduire le personnage de l’écrivain dans une histoire qui ne parlait pas de lui. Une rare réussite

.T.C. - Pavillon Rouge, avril 2003

Bien plus douloureuse que l'original, cette version en bande dessinée n'en reste pas moins une très audacieuse réussite, magnifiquement servie par les dessins de Ambre, tous empreints d'une humilité rare.

Monsieur Vandermeulen - site Jade, février 2004

Ce livre est une adaptation fidèle de l'oppressant roman de Bohumil Hrabal, écrivain et humoriste tchèque. Autobiographique, Une Trop Bruyante Solitude dépeint la vie d'un homme qui, depuis 35 ans, passe ses journées à presser et à écraser des livres et du vieux papier. En destructeur de pensées et en broyeur de mots, il appuie sur un bouton vert comme on caresse une gâchette. Hanta vomit sa culpabilité et son mal de vivre. Les mâchoires de sa machine ne cassent pas uniquement la tranche des livres, mais elles sont aussi les parois de son cerveau. Dans un récit sans lumière ni espoir, le lecteur avance et finit par se faire happer. Les dessins d'Ambre, fondés sur les photos de Valérie Berge, sont griffés d'un noir étouffant et lourd. Tel un scalpel, ils charcutent l'âme pour mieux désinfecter à coups de désillusions claustrophobes. Philosophique et mécanique, cette Bd au graphisme pesant mais technique dévore tout et surtout les pensées de ceux qui s'en approchent d'un peu trop près.

Chris A - Positive rage